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Paraguas

Il a fait le paseo exactement comme sur l’affiche. La petite, celle de la corrida de Reta de Casta Navarra, ce cartel old school, plus à l’ancienne tu meurs – Reta me mata – , 5 euros l’unité, 10 euros les trois. 

Comme sur l’affiche oui. Sin peto. Sans caparaçon. La corrida d’il y a un siècle et plus, où l’on passait par demi-douzaine au moins les vieilles carnes increvables, a cuerpo limpio, en rembourrant avec de la paille quand il y avait des trous. Si on n’y croit pas c’est vérifiable. C’est dans les livres, ou sur les toiles de Goya. Toutes ces tronches épouvantées, les ricanements malsains, le montón d’immondices. Sans caparaçon donc. Deux picadors sur six, à la fin de leur chapitre, au milieu du cortège, avant les monosabios, les garçons d’arènes et les mules. C’était voulu ? Aucune idée. Aucune envie de savoir. Faut pas trop chercher parfois. C’était simplement comme sur l’affiche et c’était très bien comme ça. 

Parmi ces deux picadors : Juan Antonio Agudo, dit « Titi » Agudo. Dans le civil, il est mayoral de la ganadería Raso de Portillo, un élevage vieux comme les siècles d’avant l’affiche. Les Raso de Portillo, « Titi » et Joselillo – le matador pour lequel Juan Antonio Agudo a piqué le 6 mai 2023 dans les arènes de San Agustín del Guadalix –, c’est Valladolid et même un bled un peu plus au sud : Boecillo.  La Castille la plus sèche que l’on puisse imaginer, elle est à peu près par là. En été c’est à faire.  

De Boecillo étaient spécialement venus à San Agustín quelques amis de « Titi » et des admirateurs de Joselillo descendus donc pour assister au desafío Dolores Aguirre/José Escolar Gil. Ils se sont installés en haut, au dernier rang, en plein soleil mais avec un parapluie en guise d’ombrelle. Et alors, quand « Titi » est entré en piste pour piquer ‘Caprichoso’, le deuxième Escolar Gil de l’après-midi, juché cette fois-ci sur une monture dûment caparaçonnée, ils l’ont applaudi, encouragé. Ils avaient confiance en lui. Déjà ils en étaient fiers. Vale. Vamos a ver. 

En trois piques, tres puyazos, il y a eu le canon intégral, la définition complète des principes de la suerte de vara. C’était mieux qu’avec des mots, ou presque aussi bien. Le terme n’a rien à faire ici, mais il y avait assurément dans cette entreprise-là quelque chose d’impeccable. On avait l’impression de relire Popelin, du moins de voir respectés à la lettre les commandements clairs comme de l’eau de roche du fascicule distribué à l’entrée des arènes de San Agustín. 

‘Caprichoso’, qui n’a pas été le plus puissant ni le plus combatif sous le fer, a pris ce qu’il devait prendre, pas plus pas moins, avant de donner sérieusement le change dans trois principales séries sur la corne droite puis d’être tué d’une épée entière trasera. 

‘Andaor’, troisième Escolar du desafío et dernier de la course, prendra lui aussi trois piques, administrées par Tito Sandoval, dont la dernière où, après avoir tardé, tardé, tardé, il a fini par ne pas accepter d’autre présence que la sienne dans un espace que lui seul définissait et à l’intérieur duquel il était prêt à pousser, pousser, pousser. Angel Sánchez lui coupera une oreille.

Entre ‘Caprichoso’ et ‘Andaor’, il y a eu ‘Bilbatero’, l’Aguirre le plus encoffré de l’après-midi, lourd de présence, cornicorto, né en décembre 2017, dont Damián Castaño n’épuisera pas l’ensemble du vocabulaire.

‘Bilbatero’, venu à quatre reprises à la rencontre de Juan Francisco Peña, désarçonnera la cavalerie, s’arrêtant après être parti, plein de cette vibration noire, chargé de l’éventualité toujours possible chez les Aguirre que tout soit détruit, tout soit démoli dans les quelques secondes qui viennent. 

Il y avait d’ailleurs de ça aussi dans le sang de ‘Guindoso’, premier des Aguirre et toro d’ouverture, en dépit de sa bouche ouverte avant la quatrième pique, ou de ‘Clavijero’, deuxième des Aguirre et qui a fait chanter les étriers comme on éventrerait un parapluie tenant lieu d’ombrelle. 

« Il y a eu course hein ? » Oui. Garde ton parapluie. Ça se gâte par le Nord. On dirait que ça vient de Navarre.

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