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S’il faut aller à la dérive

Qu’importe l’origine de la légende de la Bilbao toriste, d’un public à l’exigence trempée dans la chaleur brûlante des industries sidérurgiques autant qu’affermie par le climat austère des campagnes de Biszcaye : il n’est pas une comparution à Vista Alegre sans regretter le machefer au sol et se désoler des oreilles demandées comme partout ailleurs.

Qu’importe surtout le gouvernail du radeau quand celui-ci fait eau de toutes parts : la rénovation des arènes a chamarré les couleurs des sièges, merveilleusement confortables et terriblement délaissés. Comment cette feria vit-elle ? Combien de temps survivra t elle ? Le terme de feria lui même est impropre, car la feria de l’aste nagusia, vivace et qui colle pavés aux basques le matin suivant s’étale depuis des lustres sur les bords du Nervión. L’idiosyncrasie intersectionnelle locale mêle les causes prisonnière, anti-taurine, féministe (c’est plus récent), arrosée d’un alcool dispensable et taillée à la frange basque, droit et haut sur le front. Rien de nouveau sous le soleil, tout juste une vague hésitation à dire que l’on vient pour les toros quand l’adversaire qui s’apprête à vous (me) rétamer au tournoi d’échecs matinal vous demande ce que vous faites là. La mairie n’a pas changé de mains mais les corridas générales n’apparaissent plus dans le programme officiel des fêtes. Quant à la magnifique banda municipal, elle a été priée d’aller faire résonner ses cuivres précis dans un lieu éloigné des arènes aux horaires taurins. Il n’y a pas de petites économies dans la pratique de la putada. C’est l’orchestre Molto Vivace qui anime les arènes désormais et s’en sort plutôt bien, en dépit d’une attention parfois défaillante quand le matador change l’épée.

Les lieux taurins restent concentrés autour du névralgique Ercilla où se presse une foule de happy few, entassée sous les tentes. Les fourgonnettes de toreros chargent et déchargent et ce petit monde fait corps comme si l’on ne pouvait tout à fait exclure que la populace vînt à traverser le pont, remonter la gran vía Don Diego Lopez de Haro jusqu’au Carlton et prendre la rue en biais à gauche sans se tromper. Plus haut, l’Indautxu et sa petite tour qui lui donne des airs d’architecture suisse campagnarde a récupéré les très chics tertulias du très chic Club Cocherito précédemment données au Carlton. La zone se resserre-t-elle autour des arènes. 

La ville a changé depuis bien des années et a même trouvé le moyen d’installer la canicule; serait-ce la réverbération du Guggenheim ? 40 degrés à l’ombre mercredi, une lune aux tendidos de soleil, un temps à ne pas mettre un thermomètre dehors pour éviter une epidemie de saturnisme. Juan Pedro a envoyé le lot attendu : Morante a chopé les pires (gageure), Manzanares gâché les plus propices et Talavante quitté les arènes en lévitation. Son 6e avait du fond, mais pas un physique facile : chute au milieu de la première série. 3 oreilles. Pardon ? 

Pour l’inattendu il fallait venir la veille : après bien des années Fuente Ymbro a lidié un lot magnifique et de grande qualité. Pas de vedette au cartel, tiens tiens… Luque à l’affiche mais tombé au champ d’honneur, les tripes à la main, le péroné sous le bras, il fallut que Juan Leal se déplaçât pour le faire regretter : second de cartel, « toutes choses égales par ailleurs » et enlève le lot de l’après midi et avec ‘Iluminado’ le toro de la feria sorti en 2. Un truc pour toréer au kilomètre, engancher devant, conduire par le bas, embarquer à la ceinture et libérer deux mètres plus loin : du son, de l’alegría et de la transmission pour faire chanter vos louanges et rebattre les oreilles des absents où enflent les légendes. L’Arlésien passa à côté dans les grandes largeurs, servant la faena du cru, les changements et les passes dans le dos quand le toro appelait les olés qui roulent dans la profondeur comme la lame de fond de cuivres et de percussions sur « Martin Agüero ». Il tenta de forcer la vuelta mais fut ramené à la raison par le public. Il en est un qui ne peut que se réjouir de l’absence des caméras à Vista Alegre. Des possibilités, son 5 en avait également et l’affaire ne remonta guère. Le 4, ‘Pintor’, venait de tout emporter : un toro dangereux, brusque, un rien collant qui semblait vous tirer la pièce ou les tarots avant chaque embestida. Un toro bravo, encasté et difficile que Perera sua sang et eau à consentir et dominer. Car il fallait consentir, employer ce poder technique proverbial pour finalement venir à bout du sujet et clore par une série en ronds liée à droite en fin de faena. Les canons du mundillo moderne objecteront sur les défauts de l’animal sans me convaincre : à coups de toros de ce genre, Perera aurait « quitté » de l’escalafón bon nombre de concurrents et les arènes seraient pleines. L’infâme bajonazo involontaire « metisaca » priva le torero de trophées mais point de reconnaissance. Au 1, le puissant vétéran pécha par froideur technique, une oreille honnête. Leo Valadez insista beaucoup avec un lot moins propice, mais au bémol près du premier tiers escamoté, quelle course ! 

(…) 

  1. Alain d'Arles Répondre
    Olé Fred ! Deux oreilles sans hésitation

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