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À si vèire…

Avec sans doute pas mal de retard j’apprends ce soir la fermeture de L’estrambord et je m’aperçois que j’ignore comment l’on dit adieu en provençal. 

Combien de fois avons-nous modifié nos itinéraires, quitté prématurément l’autoroute à Arles pour descendre vers ce fond de Camargue, le Sambuc, ce « village-croisement » que l’on dirait sorti tout droit de « La Mort aux Trousses », perdu entre grand Rhône et étang de Vaccarès, pour nous attabler dans cette auberge des grands chemins ?

Avec Nadia, on l’a connu en plein été, crevant de canicule sous la treille impuissante ; en plein hiver au coin de l’âtre, toujours avec des brassées de tellines, la soupe de poissons dopée aux favouilles, l’aïoli ardent, sauvage, encasté comme un toro de Yonnet, la daube à la marseillaise, tout cela arrosé d’un rouquin à l’avenant, simple, paysan modeste mais noble, produit un peu plus haut, à côté de la Chassagnette.

La dernière fois que j’y ai mangé, c’était un lundi midi, fin septembre, en rentrant de Marseille où j’avais suivi les Boks futurs champions du monde de rugby pour les besoins d’un documentaire. En sortant de table, j’avais traîné un peu dans le hameau abandonné à lui-même, petite balade digestive, observant d’un œil mélancolique les fenêtres fermées de l’hôtel Longo Maï, faisant lentement le tour des petites arènes qui jouxtent la mairie avant de m’asseoir sous les platanes qui ombrageaient ce jour-là l’impeccable et désert terrain de pétanque. On avait oublié quelques lampions de l’été passé. C’était joli et triste.

Je ne sais pas dire adieu en provençal, et longtemps je n’ai pas su ce que signifiait l’estrambord. Je m’en tiens à la définition de l’écrivain Henri-Frédéric Blanc, parce que c’est celle que je préfère :

« En marseillais classique, l’estrambord signifie transport d’enthousiasme, emballement passionné, extravagance inspirée : c’est l’acte de déborder de soi, le sentiment d’être touché par une étincelle sacrée qui met le feu à la tête et le rouge aux joues, c’est une pichenette de Dieu, une bouffée d’immortalité, l’impression pétulante et anisée d’avoir des ailes sous le crâne, mais avec une pointe d’auto-ironie excluant d’office tout risque de chute dans le fanatisme. (…) L’âme qui sort de son trou pour éclairer le monde, voilà laisse l’estrambord ! Qu’il se manifeste souvent à l’heure de l’apéritif ne change rien à sa nature hautement spirituelle. Sans estrambord la vie serait plate comme une planche à pain, tout Marseillais de bonne graisse vous le confirmera ». 

C’était exactement ça L’estrambord. À si vèire…

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