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Gizonezkoen orrazkera

Le Pays Basque est une terre de légendes et de mystères. Le Basajaun, les Laminak, Mari, Amalur et tout le reste du colis composent une mythologie écrite avec force z, moult x et nombreux k. En quittant le pittoresque village nord navarrais de Lesaka qui fait partie de la comarca de Bortziriak ou Bortzerriak, force était de constater qu’un autre mystère local n’a jamais trouvé de réponse satisfaisante et c’est ce qui fait qu’il reste un mystère insondable : les écoles de coiffure basques ont-elles été châtiées par une malédiction inconnue, un mauvais sort endémique ou des incantations maléfiques. C’est à croire qu’on coiffe ici, de Bilbao à Pamplona, d’Elizondo à Vitoria, de Lesaka à Donostia comme on construit les lourdes maisons de pierre et de vieux bois : la fioriture, la délicatesse, le dégradé subtil n’ont aucun espoir de trouver leur chemin le long des contours d’oreilles rasés à blanc pour former, dans la plongée vers la nuque, une sorte de queue plus épaisse, taillée à la serpe, asymétrique souvent et comme arrachée à la queue d’un innocent écureuil.

À Lesaka, on fête San Fermín du 6 au 10 juillet, en rouge et blanc, comme à Pamplona une soixantaine de kilomètres plus à l’est. On danse, on boit, on chante, comme à Pamplona et on fait courir des vaches braves sur la plaza Zaharra qui n’est ni carrée, ni ronde, ni ovale, ni rectangulaire. La plaza Zaharra ressemble plutôt à la nuque d’un jeune du coin. Un parterre central légèrement surélevé, en forme de faux triangle, est cadenassé par trois rues. Les vaches courent là, vont d’un coin à l’autre, se retrouvent bloquées à la pointe de la nuque, font volte-face, sautent le parapet et sont recortées au pied du kiosque par les plus courageux. À Lesaka, la tauromachie surgit du même endroit que la mythologie locale : du fond des âges. Et comme partout ailleurs, il s’agit pour beaucoup d’épater la donzelle, de gonfler le torse en faisant mine de ne pas y toucher. De jeter un regard vers ce balcon d’où s’échappent les rires, parfois des cris stridents. D’autres n’ont que foutre des oeillades. Ils ne sont là que pour esquiver les charges et défier les vaquillas. Il rentreront chez eux après. Sans discourir plus que cela.

Comme chaque année, les vaches sont fournies par la ganadutegia Marques de Saka de Deba en Guipuzcoa. Comme chaque année sauf que cette année, point de navarraise dans le lot. Durant l’hiver, l’élevage du Marques de Saka a été contraint d’envoyer tout le cheptel à l’abattoir. Raisons sanitaires, un truc méchant comme ça. Les prés d’herbe grasse qui surveillent l’inquiétante immensité de l’Atlantique se sont sentis bien orphelins, inutiles, dépassés, vidés de leur substance. Chez Saka, on a racheté des vaches, à vue de nez des cousines ou pas loin des Domecq qui déchirent tous les matins le linceul humain qui recouvre la capitale navarraise. Navarraises ou pas, l’histoire se poursuit. L’océan n’a qu’à bien se tenir, les vigies sont de retour.
En quittant Lesaka pour rallier Donostia, il est possible de passer par Endara sur une route étroite qui monte et qui descend. Au total, une voiture croisée, des pottocks livrés à eux-mêmes dans un virage serré, deux cyclistes parce que le cyclisme est au Pays Basque ce que la nuque d’écureuil est aux jeunes du coin, un aigle et une vipère. Avant de partir, une petite fille a demandé à sa maman si les personnes installées à ses côtés étaient bien des Français. Elle portait l’ikurrina lacé au poignet. Sa mère a dit que oui. Que c’étaient bien des Français. La petite semblait ne pas y croire. – « Des vrais Français ? » elle a ajouté comme si l’information relevait du plus improbable des possibles. La frontière est à dix kilomètres. À chacun son exotisme.

Viva San Fermín

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