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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (IX)

LL-josépereirapalhaSi l’union Vázquez/Miura devient la marque de fabrique de la maison, l’historiographie fait mention d’autres apports qui, tous, prêtent à confusion. Ainsi, que ce soit Antonio Martín Maqueda, António Lucio Ferreira dans son petit livre Ganadarias de toiros de lide existentes em Portugal, ou même Areva dans son Origenes e historial de las ganaderías bravas, tous font état dans les années 1880-1890 d’un semental du duc de Veragua ainsi que d’un lot de vaches de ce même duc que Palha aurait conservé en pureza. Certains précisent que les vaches venaient de Trespalacios — la seconde ganadería de Jacinto Trespalacios avait une forte dominante Veragua dans ses origines —, or Pierre Dupuy, dont on peut imaginer qu’il est un des seuls à avoir eu accès aux archives de la famille, fait mention d’un achat à Trespalacios en 1891, date à laquelle Trespalacios s’évertue depuis cinq ans à liquider sa ganadería de Jijón pour en former une autre à base de Veragua croisés de Murube.

Nonosbtant, Dupuy rajoute que « Palha aura de nouveau à faire à lui en 1896 », sans préciser davantage. Que lui achète Palha en 1896 ? Des Veragua alors même que Trespalacios est en pleine reconstruction de son propre élevage ?  Les dernières Jijón qu’il possédait ? Enfin, pour achever la boucle de la longue vie ganadera de Palha Blanco, toutes les sources évoquent l’achat d’un lot de vaches à Rafael Molina ‘Lagartijo’, en 1886, et beaucoup oublient d’en expliquer le sang. La figura del toreo de l’époque rêvait de Veragua mais buta sur le refus du duc de lui vendre des bêtes. Il se tourna donc vers le ganadero portugais Rafael José da Cunha qui lui vendit des vaches sur lesquelles s’amusèrent un semental offert par Miura et un autre par Laffitte — les futurs Pablo Romero d’avant le croisement Saltillo de 1917, donc des Gallardo/Cabrera.

C’est toute cette histoire complexe de croisements, de Vázquez, de Miura, de gloire et de larmes aussi — José Pereira Palha Blanco enterra ses deux fils Constantino, puis António — que Fernando Palha vient tous les jours se faire murmurer par ces têtes de toros orphelins, car ici, à part elles, il n’y a rien d’autre. C’est monnaie courante, quand on a le bonheur et le privilège de pouvoir visiter une ganadería, de pénétrer dans le salon, le bureau ou la grande salle de réception et d’y trouver ces têtes de toros, ou de vaches, qui racontent le passé et parfois même un passé que les ganaderos eux-mêmes n’ont pas connu.

Ainsi cette vache jijona aux airs surannés de majesté d’époque qui contemple les ripailles organisées les fins de semaine dans la ganadería des Sanz Colmenarejo à côté de Madrid. Ainsi, un vieux Veragua jabonero auquel doit causer Eugenio Frías, vieil homme qui attend la mort au coin du feu et qui n’éleva de sa longue vie que des Parladé d’origine Samuel Flores. Ou encore ces dinosaures Contreras aux yeux fixés et luisants qui ornent la casa charra de Paloma Sánchez-Rico, ganadera de costauds d’origine Clairac — Gamero Cívico.

Et souvent, comme si cela ne suffisait pas, sous les têtes, autour, sans ordre, sans logique apparente, les murs se tapissent de photos jaunies, de trophées de bronze d’un goût douteux, de cloches de bœufs marquées du fer de la maison, d’un mot d’une peña, d’une affiche sur laquelle le nom de l’élevage est bien visible, de préférence collé à celui de grandes figuras del toreo. L’éleveur ou le mayoral les contemplent aussi religieusement que vous qui découvrez et qui vous dites que l’Espagne, à la fin,  a le baroque dans la peau et sur les murs.

LL-canhotoChez Palha, dans cette antichambre de la Quinta das Areias, l’austérité seule est la gardienne du temple. Les toros  se suffisent à eux-mêmes pour briser les ombres et le silence. Il n’est pas toujours besoin de musique pour aller à la guerre, les Spartiates le savaient déjà qui terrorisaient leurs futurs adversaires de leur silence noir et lourd de mauvaises prédictions.

‘Canhoto’ n’a pas la même tête que les autres. Un rien avacado, moins adulte pour tout dire. ‘Canhoto’ était un Miura de chez Palha. Les Miura ne ressemblent pas aux Veragua. Fernando Palha n’a jamais précisé la date ni de quel Miura il s’agissait, mais il aime se placer sous la tête de ce toro et raconter l’histoire de la visite de ce Miura — Eduardo ? Ses fils Eduardo et Antonio ? — à laquelle il assista un jour. Passant dans ce sanctuaire sombre, Miura marqua un temps arrêt devant ‘Canhoto’, se retourna et déclara : « On dirait un de chez nous, celui-là ! ».

« Vous croyez bien, mon cher ami, qu’il n’avait pas tort. C’était un Miura qu’il avait sous les yeux. Un Miura de chez nous. Ce toro a gagné la corrida concours de Séville en 1900… On l’avait envoyé avec un autre, blanc, et ce ‘Canhoto’ s’est échappé toute la nuit pour se réfugier dans un jardin ! »
D’autres ont refusé de passer ici, ni plus ni moins. Ça le fait sourire, Fernando.
« Un jour, Andrés Vázquez, vous savez le torero, est venu à Vila Franca, ici. Peut-être y avait-il une tienta ? Ah, je ne sais plus mais ce n’est pas grave. En entrant ici, il a décampé comme un lapin en voyant la tête de ‘Canhoto’, là. »
Fernando part d’un rire contenu mais sincère.
« Il nous a dit qu’il refusait de passer sous des Miura, que c’était plus fort que lui ! »

Fernando Palha, qui habite la « casa grande » depuis que sa tante Julie, un jour de deuil dans la maison, lui déclara que sa place était là maintenant, à la tête de la famille, pose son chapeau toujours au même endroit. Puis il se signe sous les yeux toujours ouverts des toros de son arrière-grand-père. Il aime bien ‘Canhoto’, mais il revient souvent au « soldat inconnu ». Un jabonero qui n’a laissé de traces que dans la mémoire de la famille. Ce toro aurait tué un vaquero au campo un jour, personne ne sait plus quand. On aurait pu l’appeler « l’assassin », mais dans une ganadería qui a fondé sa légende sur le combat et la peur « soldat inconnu » paraissait en effet plus judicieux.

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