logo

Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XVI)

Fpalha-tetes torosAnnées 1870.

Le Portugal n’est plus ce qu’il était. Les héros des Lusiades ont déchanté. Les rêves de grandeur portés par les souffles de l’Atlantique survivent dans le fado. Le Portugal est redevenu un petit pays dans le concert européen. Au moins a-t-il réussi, en 1640, à s’arracher du joug espagnol. En 1825, João VI a reconnu l’indépendance du Brésil. Économiquement, le coup est rude. Le pays doit se reconstruire, et c’est ce qu’il fait.

À partir des années 1850, la période dite de « régénération » s’accompagne d’une ribambelle de réformes tendant à inscrire le Portugal dans la modernité. L’Europe est en pleine révolution industrielle ; le Portugal s’attaque à l’agriculture.
« De nouvelles cultures vivrières furent introduites, le riz surtout, qui devint à la fin du XIXe siècle un élément essentiel de la nourriture des Portugais. Certaines cultures spéculatives connurent de réels succès. L’exportation du liège par exemple augmenta considérablement […] D’une manière générale, à quelques exceptions près, toutes les formes d’agriculture progressèrent, non seulement par l’extension des aires cultivées, mais par l’augmentation de la productivité : au milieu du siècle, les premières machines agricoles firent leur apparition. Enfin, de nombreuses associations virent le jour pour développer l’agriculture 1. »

Il serait vain et faux de penser que seule l’agriculture portugaise fut au centre du développement économique du pays dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais il serait également exagéré de considérer que le Portugal connut les mêmes avancées industrielles que certains voisins européens. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil sur les exportations portugaises réalisées entre 1860 et 1913 pour prendre la mesure de l’importance prise par le secteur agricole dans la balance du commerce extérieur du pays. Dans son étude sur l’économie portugaise au XIXe siècle 2, le chercheur Pedro Lains définit assez bien l’appartenance du pays à une « Tierce Europe » composée essentiellement par des États balkaniques (Bulgarie, Serbie, Roumanie) et par le Portugal.
Retard économique, faible niveau du revenu par tête, retard du développement industriel : en somme, la « Tierce Europe » n’était que la banlieue d’un vieux continent déjà fatigué et qui fonçait pourtant à toute vapeur au cul de la modernité, forcément libérale, forcément capitaliste, forcément déprimante. Dans ce monde du suicide permanent, funambule aveugle sur des rails d’acier, le Portugal restait aux mains des élites propriétaires proches des milieux monarchistes libéraux. Et dans ces élites, les derniers n’étaient pas les détenteurs de milliers d’hectares de terres sur lesquelles survivaient paysans et campinos — bras d’un jour et peines d’une vie.

C’est en 1873 que la famille Palha acquiert la Quinta da Foz. Nous l’avons déjà écrit, mais José Pereira Palha Blanco se trouvant alors à l’étranger, c’est certainement sa mère, Laura Rodríguez Blanco, qui en fit l’acquisition auprès du marquês de Niza (descendant de Vasco da Gama). Si l’on s’en réfère à certaines chroniques, le personnage valait le détour. Aristocrate un brin loufoque, aficionado averti, il aimait organiser des touradas à la Quinta da Foz comme ce fut le cas, par exemple, pour la saint Jean en 1845. Personnage de roman, il eût pu inspirer Eça de Queiroz pour son Carlos da Maia dans son superbe Os Maias 3. En 1873, donc, les terres de la Quinta da Foz entrent dans l’immense patrimoine terrien de la famille Palha.

Pour Fernando Palha, il ne s’agit pas seulement d’un énième achat réalisé par son arrière-grand-père, mais bien d’un clin d’œil que lui ferait sa propre histoire : la famille de sa mère vendait la Quinta da Foz à celle de son père. Ainsi, quand il naîtrait, en 1932, cette terre symboliserait tout son passé, et réunirait sa mère et son père, comme la Sorraia se jette dans le Tage, justement là, justement à la Quinta da Foz.

1. Jean-François Labourdette, Histoire du Portugal, Fayard, 2004.
2. Pedro Lains, L’Économie portugaise au XIXe siècle, L’Harmattan, 1999.

3. Eça de Queiroz, Os Maias, 1888. Version française : Eça de Queiroz (trad. Paul Teyssier), Les Maia, Chandeigne, 1996.

  1. anne marie pioger Répondre
    Ah.... quand même ! Merci Laurent ! Moi je guette tous les jours. Merci merci merci.

Laisser un commentaire

*

captcha *