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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XVII)

palhacéeret« Je suis puceau de la Quinta da Foz comme je suis puceau de Céret. »

Aux dires de ma mémoire, la réalité a peut-être une autre version, ce sont ces mots qui furent les premiers. J’avais mis un temps infini à choisir le stylo, et il devait pleuvoir. Comme souvent, j’avais opté pour une feuille blanche, sans ligne ni marge ; une feuille sans ligne ni marge a moins les abords d’une geôle. Ces premiers mots sortirent sans effort, sans le diktat habituel de l’inquiétude du vide — les aveux surgissent souvent de la sorte, d’un coup, d’un bond, comme si le ressassement du temps contraignait à les expulser dans l’impérieuse violence d’un instant, de cet instant-là. Je préférais avouer dès la première ligne. Avouer que je me mêlais certainement de ce qui ne me regardait pas. Pour autant que cette conscience fut mienne, l’idée saugrenue d’écrire quelques lignes sur la vie d’un autre — avec le si peu que j’en connaissais — m’apparut comme une évidence.

Aujourd’hui que les mois ont succédé aux mois, je n’afficherais pas le même optimisme tant il est vain et présomptueux de tenter de construire un récit — il ne peut être qu’un parmi l’infini des possibilités des récits d’une vie — d’une existence qui ne nous a effleurés que quelques instants à peine. Les livres, les souvenirs, les témoignages ne sont que de dérisoires débris dans le chaos époustouflant que sont les milliards de milliards de secondes passés à aimer, à rire, à pleurer, à penser, à souffrir, à être.

Bref, le mal est fait, et je reste puceau de la Quinta da Foz que les toros ont fuie et de Céret qui l’inventa. Car si l’élevage de Fernando Palha existait déjà quand l’Association des aficionados cérétans (Adac) s’y intéressa, il est indéniable que ce sont ces fadas de toros qui le révélèrent aux aficionados, certes, mais à lui-même surtout et avant tout. La maïeutique cérétane de l’originalité et des coups de poker trouvait chez Fernando Palha ses lettres de noblesse, qui profiteraient plus tard à bien d’autres (Adolfo Martín par exemple).

Fernando Palha n’a pas de mots assez forts pour exprimer tout le respect qu’il éprouve pour cette Adac canal historique qui, feuilletant le livre Por las rutas del toro 1, se prit à rêver qu’il serait sympathique d’aller faire un tour chez ce Palha inconnu qui élevait des aurochs blanc et noir comme celui qui illustrait l’article dudit livre. L’Adac s’en vint à la Quinta da Foz et, pendant des années, en ramena toros, novillos et autres estampes polychromes sur les flancs desquels le sang qui coulait n’était pas de la rigolade mais bien l’achèvement, la touche finale, d’une toile de maître. Les souvenirs. Il se raconte en Vallespir que le seul toro débarqué à Céret qui put contempler le panneau du supermarché voisin fut un Quinta da Foz adepte du saut en hauteur. Les souvenirs, les légendes.

Puceau des deux, je crois à tout cela et à bien plus encore. Mais croire n’empêche pas d’apprendre, de creuser, de fouiller pour mieux saisir encore la folie de toute cette infime mais pourtant immense histoire des toros de Fernando Palha.

1. Joaquín López del Ramo, Por las rutas del toro, coll. « La Tauromaquia » n° 38, Espasa Calpe, 1991.

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