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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XXV)

YO-maioralpalhaCar l’on ne devient pas maioral à la seule force de son bon vouloir.

« Fernando, reste-t-il des campinos aujourd’hui dans la Lezíria ?
— Ah non, mon cher, tout cela est fini. Il en existe bien encore quelques-uns dans certaines ganaderías, mais les grandes familles de campinos ont toutes disparu. Elles sont parties à la ville. Vous comprenez… le travail de campino était dur, et, aujourd’hui, on trie les bêtes avec des tracteurs ! Oui, avec des tracteurs… et des 4×4 ! »

« Le mayoral de ma ganadería est un campino, mais il ne vient pas de ce monde-là. Il travaillait à l’usine, et la campagne lui a manqué. Trop. Il a quitté l’usine et il est devenu mon mayoral. C’est un très bon campino. D’ailleurs, cette année, c’est lui qui est en photo sur l’affiche du Colete encarnado. Vous savez, c’est une fête créée par un cousin de mon père — José Van Zeller Pereira Palha — pour honorer le monde des campinos et de la Lezíria. C’est une fierté pour moi qu’il représente le peu qu’il reste de ces hommes. »

Le paysage défilait entre Vila Franca de Xira et Porto Alto. Sans le ballet des automobiles, sans les fils électriques, sans les hangars et sans les entreprises vendues à l’immigration chinoise à l’entrée de Porto Alto, il n’était pas difficile de se faire une image de ce qu’avait pu être ce pays quand les campinos en étaient les sentinelles.

La ganadería était annoncée à Céret, en juillet, et l’émission Face au toril était allée filmer le lot de novillos et s’entretenir avec Fernando Palha. La visite de la télévision française avait été soigneusement préparée, cela se sentait, et les campinos de la Quinta da Foz s’en donnaient à cœur joie pour faire montre de leur talent dans le dressage des cabestros. La vue de ces bêtes multicolores, comme arrachées des couvertures de la vieille revue La Lidia, n’était qu’enchantement, mais les fiers hommes à cheval vêtus comme des forcados, ou presque, n’avaient rien à leur envier.

L’univers des campinos était un monde à part entière. Il faut comprendre qu’il s’agissait d’un groupe humain socialement très hiérarchisé dont les codes, les rites et les comportements étaient propres et spécifiques à ce groupe et à nul autre. Si l’on en croit plusieurs études qui leur sont consacrées, les campinos n’étaient pas toujours des cavaliers. Avant tout, et l’étymologie du mot en témoigne, ils étaient des travailleurs des champs inscrits dans un lieu et inhérents à celui-ci : le Ribatejo — à une échelle moins grande, on trouvait des campinos dans l’Alentejo.

Parmi la masse des campinos, certains portaient un bonnet rouge et vert moins grand que d’autres : les cavaliers c’étaient eux, les gardiens de troupeaux de chevaux et/ou de taureaux. Dans une étude sur le sujet, Carlos Pereira 1 affirme que « le métier de gardien de troupeaux tend à disparaître » et présente les chiffres d’une enquête, menée par Ana Moedas, qui révèle qu’au début du XXe siècle « chaque exploitation agricole du Ribatejo disposait en moyenne de dix à vingt campinos », quand aujourd’hui croiser un campino signifie le plus souvent que vous êtes le spectateur d’une fête locale où le folklore le dispute à la fierté des traditions.

Cette enquête permet aussi d’en savoir davantage sur le fonctionnement interne du monde des campinos. Ainsi, « ils ne naissaient pas campinos – ils le devenaient […] et montaient les degrés d’une hiérarchie rigide » de type patriarcal. Ils apprenaient avec les anciens. Ils débutaient leur parcours en devenant d’abord assistant (anojeiro ou ajuda). Progressivement, ils prenaient des responsabilités et devenaient bras droit du contremaître, c’est-à-dire roupeiro ou contra maioral.

« Avec les plus vieux, ils apprenaient à être des hommes et à cultiver leur masculinité. Lors de l’adolescence, ils devenaient auxiliaires du contremaître. Les meilleurs pouvaient prétendre au statut de contremaître, ou maioral, chargé du gardiennage des troupeaux de vaches, de taureaux et de juments. En fin de parcours, et dans certaines grandes exploitations, ils pouvaient se voir attribuer le grade de grand contremaître royal : maioral real, abegão, feitor ou capataz 2. »

Ce monde, qu’a connu Fernando Palha, et il n’est pas avare de récits à son sujet, n’est plus qu’une façade comme il en va souvent des us et coutumes du monde rural. Le folklore n’est jamais loin, et, avec lui, la désincarnation même du sujet fêté. Dans une entrevue accordée au journal portugais Omirante 3 à propos de la fête du Colete encarnado, à travers les mots, à travers le respect pour ces campinos, l’homme de soixante-quinze ans (à l’époque) n’arrive pas à dissimuler son « inespoir » face au futur qui s’annonce et face à la réalité de la situation.

« Agora é uma mascarada total. Fica triste com o desvirtuar da figura do campino e por ver tractoristas, mecânicos e pedreiros trajados de campino? Fico triste, mas é a lógica dos tempos. O campino existia quando havia grandes impérios com grandes propriedades onde havia um conjunto de figuras que tinha no topo o moiral real que era o chefe da parte pecuária assim como o abegão era o chefe da parte agrícola. Estes dois despachavam em comum com o patrão. Eram as bases da pirâmide.
— Agora tudo evoluiu e já não há lugar para o campino?
— Hoje as grandes manadas desapareceram, as propriedades estão vedadas e os toiros são criados em capoeiras. O campino tem de ser tractorista, mecânico, pedreiro e não conhece o campo. »

Fernando Palha a totalement conscience, et cet extrait le prouve, que son monde a été bouleversé, que notre époque n’est plus la sienne. Il n’y a rien d’injurieux à écrire cela ; le temps passe, c’est tout.

1. Carlos Pereira, « Le gardiennage des troupeaux à cheval au Portugal au début du XXIe siècle, la fin d’une tradition et d’une profession ? », université Paris III – Sorbonne nouvelle, Crepal, avril 2007.
2. Ibid.
3. Entretien avec Fernando Pereira Palha, in Omirante, 27 juin 2007.

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