Oublier soixante-six ans, les doutes, l’absence de recours physique. Oublier Céret, la réputation, le Santa Coloma. Ne pas entendre les rumeurs, les doutes (extérieurs), les objections, les moqueries. S’habiller de vert sapin et azabache, caler sa tête de tortue sans âge dans la montera, s’emmitoufler dans la cape de paseo. Oublier les statistiques, les temporadas à un seul contrat, mépriser le raisonnable, saluer la présidence, saluer sous l’ovation, saluer l’incrédulité. Se soucier de sa mise, de son allure, de sa couleur, de sa mise en pli. Marcher à la tête du toro, baisser les mains, relâcher les épaules, se souvenir de vieilles choses, être torero.
Être torero comme tous les autres jours, face à la même incrédulité, mettre dans la balance le temps qui reste et qui pèse autant qu’il peut. Mépriser le temps hypothétique, le temps compté quoi qu’il en soit. Prendre la gauche. Ouvrir la poitrine, citer dans les canons, pivoter, toréer. Toréer comme avant, comme toujours, rester à gauche, rester de face, ajouter quelques détails surannés, rematar de cartel, toréer de gravure. Monter l’épée, rester soucieux de sa mise, tuer. Attendre, enlever l’épée, saluer les trois abrutis, jouer un peu la montre. Couper une oreille. La garder.
Être torero.
Être Frascuelo.
Les photographies de la galerie sont de José Angulo.