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Funèbre tyrannie : Manzanares

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La mort. Ses multiples commémorations et anniversaires constituent les occasions rêvées pour sortir la mitraillette à poncifs, et il est permis de penser qu’ainsi naissent les légendes. Les réseaux sociaux dégueulent d’hommages à vous coller des nausées. José Mari Manzanares est mort. Il était une légende de son vivant et au cours de son activité : une classe inouïe, une planta torera absolue, un semi-remorque de promesses non tenues, un wagon de rendez-vous manqués. De ce qu’il m’a été permis de voir dans les années 1990, le moins que je puisse dire est que jamais on n’était rassasié de son talent qu’il ne distillait qu’au compte-gouttes les bons après-midis. La sueur lui semblait allergène, l’effort indigne de son rang. Manzanares promenait son aura de « torero de los toreros » de cartel en cartel, les aficionados aimaient (déjà) en faire des tonnes à son sujet : l’avoir « vu », avoir su « le voir » tenait de l’élection. La tauromachie reconnaissait les siens, et, de ce point de vue-là, je n’en étais pas.

Rendons à César : les affiches sévillanes des années 1980 qui jaunissent sous les mufles empaillés des bars des alentours de la Maestranza témoignent que le maestro alicantin ne se cantonna pas, sa carrière durant, à des élevages stupides et formatés. J’ai raté ces promesses-là, trop gamin. Je suppose qu’il en tint peu déjà : il fallut un coup d’État de ses disciples de l’escalafón pour le faire sortir enfin par la Porte du prince lors de ses adieux. Son image semblait indiquer que les statistiques lui importaient peu ; il n’était pas de ces toreros-comptables, laborieux et transpirants, qui ont le mauvais goût de vous en donner pour votre argent, ou, tout au moins, de vous le faire croire. De même, il ne sembla jamais se compromettre dans le registre sincère et engagé d’un Rincón, le productivisme scientifique d’un Ponce ou d’un Espartaco, ou le maniérisme clair-obscur d’un Joselito. Bien sûr, il n’avait rien de l’âpreté fruste de certains gladiateurs. Beaucoup parmi eux se réclamaient de lui pourtant : « torero des toreros ».

« Un air de Rome andalouse lui nimbait d’or la tête »… Lui qui était du Levant et trimbalait derrière son allure aristocratique incontestable un je-ne-sais-quoi canaille et voyou. Il y avait du don Juan dans sa façon de vous éconduire, du Scapin dans son toreo, un soupçon de Concha Pérez dans sa manière de vous refuser sa meilleure tauromachie en laissant croire à un gage d’amour absolu (cela finissait par lasser). Se côtoyaient chez lui une part d’ombre et une rédemption toujours possible par la pureté du toreo.

José Mari Manzanares incarnait cette figure surannée et souvent agaçante de l’hidalgo, allant son chemin mû par des principes inaccessibles à la plèbe, seul maître en piste, redevable devant personne, plein de lui-même, torero en toutes circonstances.

Luis Miguel Dominguín lui avait donné l’alternative ; il avait toréé au Chofre, à San Sebastián, et roulait encore dans ces grosses berlines américaines noires au début de sa carrière. Une époque… Je parierais volontiers quelques douros qu’il méprisait Twitter, se foutait de ce que Campos y Ruedos écrirait et avait bien vécu. On peut difficilement lui donner tort.

Que en paz descanse.

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  1. bouisseren Répondre
    Parfait! la meilleure analyse qui puisse etre faite!
  2. Zanzi Répondre
    Ca fait regretter de ne pas avoir eu la chance de perdre quelques après-midis à cause de lui...
  3. Xavier KLEIN Répondre
    C'était aussi un ENORME tueur, relativement souvent al recibir.

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