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Aucun bouquet ne vaut pour moi… (XXXVII)

palhamuseeLui reviennent les souvenirs les plus lointains. La jeunesse garde ce pouvoir d’attraction que le poids des années n’arrive en rien à ébranler, ou si peu. Ici, dans ce grand pré où le vert est sombre de la quinta « Vil Figueiras », à un pas de la mare d’où il goûte encore les plaisirs d’enfants qui se taisent pour entendre les grenouilles implorer la grasse pluie venue de l’océan, il a gagné ses « éperons d’or » en sauvant la mère de sa promise, son Isabel, qu’il courtisait à l’époque.

La journée était belle et la famille recevait en visite les Guardiola, ceux des toros, évidemment. Au milieu des rires et des clameurs féminines devant la hardiesse des hommes à jouer avec les toros dans une forme d’acoso y derribo que pratiquait la famille Palha, dans l’oubli des regards volés, jetés à la va-vite vers celle qu’on aimait, un toro décida de n’en faire qu’à sa tête et fonça vers le groupe avec en point de mire Ana de Jésus Maria de Figueiredo Cabral da Câmara, future belle-mère de Fernando Palha. C’était sans compter sur le jeune fringant qui, d’une pichenette imposée à son cheval, enleva le toro de Palha de sa course et se vit accorder définitivement le cœur de sa belle et l’assentiment de sa future belle-famille. Il en rit encore aujourd’hui, fier et ému à la fois.

Il se tait ensuite, devient grave et fragile dans la seconde, arrête le moteur du 4×4 garé en plein chemin, au bord de la mare noire. Ses yeux sont humides, les grenouilles chantent…

« Fernando, vous évoquez toujours vos vaches, mais bien peu les sementales. Les duchesses n’ont-elles point de ducs ?
— Mon cher ami, elles sont le trésor de l’élevage, vous comprenez.
— Évidemment…
— Pour tout vous dire, il y en a eu beaucoup de sementales depuis les origines. Beaucoup…
— Dans son livre Por las rutas del toro, Joaquín López del Ramo évoque deux reproducteurs d’origine Cunha e Carmo.
— Ah, une fois de plus, je constate que vous avez fouillé… mais, avant de les évoquer, et même s’il n’y a pas grand-chose à en dire, il faut parler de celui qui a donné une vraie impulsion à l’élevage. De plus, mon cher ami, son histoire est extraordinaire ! Oui, extraordinaire ! Il se nommait ‘Tas-Ta-Rir’…
— ‘Tas-Ta-Rir’ ???
— Oui, comme je vous le dis, ‘Tas-Ta-Rir’
— Mais…
— Ça signifie « celui qui rit et se moque de toi »… et ce nom lui allait bien, vous pouvez me croire.
— Était-ce un Palha, comme les tout premiers étalons ?
— Non, mon cher ami, lui était un Cabral de Ascensão qui appartenait à José Rodrigues.
— Heu, j’avoue être totalement perdu, Fernando. »

Derrière son sourire taquin, j’ai voulu croire qu’il repensait à ce ‘Tas-Ta-Rir’ comme un souvenir heureux, à ce toro dont le nom portait en lui l’exotisme d’un orientalisme oublié et dont le sang avait en partie construit sa fortune. Dans toutes les ganaderías, les toros ont des noms que l’on retrouve inscrits sur les sorteos et dans les livres des ganaderos. La plupart du temps, le toro prenant le nom de sa mère, nous savons à quelle famille il appartient, famille dont l’éleveur et le conocedor maîtrisent le plus parfaitement qu’il soit possible les caractéristiques tant physiques que « morales ».

La plupart du temps, encore, les noms des toros sont souvent de consonance espagnole, en toute logique puisque les élevages ont tous été construits à partir de ganado venu d’Espagne. Et chaque encaste a ses familles et ses noms de prédilection auxquels l’aficionado a los toros a habitué son oreille et sa capacité à rêver. Mais ‘Tas-Ta-Rir’, ça ne sort de nulle part… À moins que, peut-être, d’ancestrales campagnes militaires menées par les Ibères contre la présence musulmane n’aient laissé dans la langue et l’esprit le goût sucré du Levant.

‘Tas-Ta-Rir’ était berrendo en negro aparejado, comme ‘Chinarra’, et jamais, sans les heurts douloureux de la grande Histoire, il n’aurait dû connaître les terres fertiles de la « Quinta da Foz ». Pourtant, c’est bien là qu’il échoua au sens propre du terme dans la seconde moitié des années 1970. L’histoire de ‘Tas-Ta-Rir’ est intimement liée à celle de la transition démocratique portugaise survenue, à partir de 1974, avec la Révolution dite des œillets, et si le propos de ce texte n’est pas d’écrire l’histoire du Portugal, rien ne nous interdit pour autant de revenir en arrière afin de mieux comprendre le destin à part de ce semental qui n’aurait pas dû l’être.

  1. anne marie Répondre
    Encore encore encore merci pour cette merveille Laurent

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