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Histoires extraordinaires et pittoresques des corridas du temps jadis (II)

Aujourd’hui, un président inflexible

L’action se déroule dans les arènes de Jaén, à la fin du XIXe, ou au tout début du XXe siècle, à l’occasion d’une novillada piquée pour le moins mouvementée. Le conseiller municipal et futur maire de la ville, Manuel A. Suca, présidait la course. C’était un homme autoritaire dont la réputation n’était plus à faire, mais c’était aussi un grand connaisseur des affaires taurines. Lorsqu’il officiait, c’était un président ferme et rigoureux, particulièrement attaché à l’application stricte de la loi et du règlement, un monsieur, très, très à cheval sur les principes…

Sur ce constat, tous les témoins s’accordent. Nous avons cependant choisi de nous référer au récit publié par Antonio Flores de Lemus, qui, ce jour-là, assistait au spectacle. En aficionado éclairé, don Antonio, natif de la cité et universitaire de renom, devait rendre compte de l’événement dans la revue Los Toros et souligner que, pour l’essentiel, le passage le plus savoureux de la course s’était déroulé dans le patio de caballos.

Il s’avère donc que l’un des novillos de la corrida se montrait tellement brave et si diaboliquement précis qu’à chacune de ses rencontres, qu’à chacun de ses coups de cornes, il laissait sur le sable la dépouille d’un cheval. En un rien de temps, il avait expédié ad patres quatre ou cinq canassons quand, subitement, la piste se vida de ses picadors… Ces derniers ayant trouvé refuge dans le patio, partis, semble-t-il, à la recherche de chevaux de réserve. D’un côté, l’imprésario des arènes, qui voyait en ce taurillon l’incarnation même de la ruine, commençait à traîner des pieds et tardait à remplacer les chevaux morts ; de l’autre, les picadors n’étaient guère pressés à l’idée de revenir en piste.

Pendant ce temps, le palco ne cessait d’envoyer à destination du patio des ordres qui demeuraient tous, invariablement, lettre morte. Jugeant soudain que l’interruption comme la farce n’avait que trop durée, le fougueux don Manuel ne put en supporter davantage. Il abandonna brusquement son siège en brandissant sa canne comme un bâton de maréchal et se rendit directement au patio où il tomba à bras raccourcis sur tous les mollassons qu’il croisait sur son chemin. Les picadors, devant une volée d’arguments aussi percutants, n’eurent d’autre choix que de grimper en toute hâte sur leurs carnes et de regagner promptement l’arène, raccompagnés jusqu’à la porte par un président inflexible qui exigeait que le brave animal fût piqué dans les règles de l’art.

À la fin de la course, les cuadrillas, réunies dans un bistrot, se réconfortaient autour d’un verre. Un des compères fit délicatement remarquer au picador le plus malmené par Manuel A. Suca qu’il n’avait même pas sucré son café. Ce dernier répondit péniblement, dans un andalou à couper au couteau : « Ne me parlez pas d’A. Sucre, j’ai eu ma dose pour la journée ! »

L’histoire ne dit pas s’ils trouvèrent ensuite l’addition trop salée.

Extrait de la revue Estampa (n° 262), 14 janvier 1933, par Modesto Calzada.

Et si nous remettions cette anecdote au goût du jour, en évitant si possible d’en venir aux mêmes extrémités, quoique… parfois ça démange ! Nous pourrions peut-être nous rappeler qu’il existe, depuis décembre 2012, à l’initiative de la FSTF : le corps des présidents et assesseurs de corrida. Tant qu’à créer un machin supplémentaire, autant qu’il serve, non ?

Donc, en ce début de temporada, quand se préparent en coulisses les grandes réjouissances et que toutes les décisions ne sont pas encore définitives, il serait peut-être bon de tirer quelques leçons du passé. Il serait peut-être bon de ne pas reproduire des situations d’extrême danger comme à Vic-Fezensac, la saison dernière, lorsque ‘Cantinillo’ devint le maître absolu du ruedo, conforté par la passivité et l’incohérence d’un palco inepte. Il fallut ce jour-là, le pundonor de Gabin Rehabi, le courage d’Alain Bonijol et la vaillance d’Alberto Lamelas pour éviter un drame.

Il serait peut-être bon que l’on se souvienne que président de corrida n’est pas un titre honorifique qui consiste à porter une jolie cravate pour offrir des vueltas et des oreilles en écoutant des pasodobles.

Et puisque nous somme le 8 mars, profitons-en pour rendre hommage à une dame qui sut, elle, tenir résolument le cap d’une corrida dure, compliquée et, au final, historique. Dimanche 22 juillet 2012, dans les arènes de Mont-de-Marsan, corrida de D. José Escolar Gil pour Javier Castaño, Fernando Robleño & Julien Lescarret… Lorsque ‘Canario’ est entré en piste, le temps s’est arrêté… Merci Domi pour l’émotion. ¡Abrazo fuerte!

caida-vic

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