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Des toros sans la tête (II)

salida dos bisPersonne ne branche la radio. Les silences sont de vrais silences ; rares, mais vrais, ce qui n’est pas une mince affaire de nos jours.
La musique ne serait pourtant pas incongrue. Le défilement épouse bien ses courbes et ses cassures. Chaque heure de la route aurait son propre style. À la nuit pleine et rythmée par les lignes blanches qui s’étirent et qui meurent dans une répétition sans fin irait bien un jazz lascif comme une larme traverse une joue, lentement.

Car il faut rouler et le campo n’est pas au bout du chemin. Les sentes caillouteuses succèdent aux routes de campagne, les routes de campagne prennent le relais des autovías. Les autopistas s’évitent, sauf entre Vitoria et Burgos, tunnel d’impatience.
A l’aller, on méprise l’aire de Quintanapalla en s’avouant par devers soi qu’elle sera notre dernier arrêt avant le bercail, au retour. Le dernier arrêt. Comme s’il s’agissait de respirer une ultime fois, jusqu’à la prochaine, une grande bouffée d’air de ce pays des toros. Pourtant, Quintanapalla n’est déjà plus l’Espagne des toros ou alors beaucoup moins. La température a chuté et le vent froid, ici, fouette la peau et entaille les chairs. On se presse. D’entrer. De prendre un café con leche. De ne rien acheter. De pisser un coup dans des chiottes criblées d’insanités. De fumer une clope. De se dire « putain que ça pèle ici ! ». De repartir. Vite.
On quitte Quintanapalla comme des gamins fautifs puis punis d’un grand coup de pied au cul. Punis du mépris de l’aller. Punis de ne s’arrêter que pour uriner. Punis de préférer d’autres terrains de jeu que cette terre de chrétiens taciturnes.
Burgos. Beaucoup trop loin des toros à l’aller, de la France au retour. Un lieu d’impatience en somme pour lequel on se dit en déchirant la nuit à 130 qu’il ne doit pas faire bon vivre ici, ni dormir. Qui peut bien roupiller à l’hôtel Salida 2, cette porte d’entrée stalinienne d’une bourgade réactionnaire ?
À chaque passage ici, on se dit la même chose.
– Putain, ils n’ont même pas fait l’effort de donner un nom à cet hôtel !
Hostal Salida 2. Plus glauque y’a pas. Même leurs clubs couleur stabilo ont des noms. Ça donne un style, un genre, un semblant de vie réelle, de vie tout court, une poussière d’ailleurs. Les putes s’évadent un peu. Club Elvis, c’est les states ; le King, c’est Hollywood, la vie de star, l’alcool, la drogue, l’usure mais ça elles l’ont déjà, tout bien considéré, et puis il suffit d’un poster accroché au mur délavé et mité pour ne plus prendre conscience des remous saccadés et pleins d’une haleine de nuit sans fin du gras velu de José ou de Juan, ou des autres. Ça coûte pas un bras de foutre le camp, ne serait-ce que cinq minutes. Salida 2, c’est final de trayecto, sapin et Burgos en panoramique.
Oh oui ! Il faut l’avoir regardé en face, dans la nuit, ténébreux et massif comme une île maudite, enserré de ses deux bretelles d’autoroutes, pour se convaincre que l’impatience a parfois du bon.

Alors on cause. On papote, on cancane, on bavasse, on discourt parfois, on devise entre amis. On cause de toros parce qu’on en a plein la tête. Les programmations de la temporada à venir, les souvenirs, les rêves et les aigreurs. On cause des copains, on se donne des nouvelles, on raconte une anecdote, sur eux, sur nous, sur eux avec nous, on s’inquiète pour lui, pour elle. On cause de ceux qu’on n’aime pas dans cet univers protéiforme de l’afición a los toros. Ca donne des heures de causeries pour des heures de route. Nous sommes tous des concierges refoulés.

Ainsi personne ne branche la radio ni ne programme sa playlist. A travers les vitres, on loue la nuit de nous permettre d’avancer, de grignoter, les palabres en guise d’amuse-gueules, le temps chéri de l’impatience.

  1. Anne-Marie Répondre
    Pas mal. Encore de beaux moments de lecture en perspective. Mais à cause de vous, enfin surtout grâce à vous, les toros maintenant ils sont "dans" ma tête à moi ! Bon, et si LL commence une nouvelle histoire, cela veut donc dire que « Aucun bouquet ne vaut pour moi » est sous presse ?

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